Amour et littérature : toute une histoire
Depuis des centaines d’années, la littérature raconte l’expérience humaine. Témoigner d’une époque, infuser une morale, instruire, divertir, émouvoir : le livre a de nombreuses motivations. Un sujet a transcendé les époques et continue de nourrir auteurs et lecteurs insatiablement : l’amour. Depuis la Grèce antique jusqu’à nos jours, le cinquième art a rapporté, raconté, fantasmé ce sentiment fondateur. Si bien qu’au XXIème siècle, nous pouvons nous demander si c’est encore l’amour qui influence la littérature, ou si l’inverse ne serait pas à considérer sérieusement.
L’amour en littérature, de la Grèce antique à nos jours
Les amours multiples de la Grèce antique
La Grèce antique n’avait pas une définition unique de l’amour. Ce dernier était décrit comme multifacette, prenant précisément 8 formes : Eros, philia, storgê, ludus, magna, pragma, philautia et agape. Parmi ces dernières, développons celles qui ont trait au sentiment amoureux. « Eros » désigne le dieu de l’amour et de la fertilité, mais également l’amour passionnel entre deux êtres. « Ludus » évoque le jeu de séduction qui précède la relation. « Mania » est l’amour obsessionnel. « Pragma » désigne une relation qui a su mûrir avec le temps. « Agape » est la forme d’amour la plus pure, la plus désintéressée, qui accepte et respecte l’autre dans son entièreté.
Les poètes et dramaturges grecs comme Homère, Sappho et Euripide ont souvent exploré les thèmes de l’amour romantique dans leurs œuvres. Les relations amoureuses entre les dieux, les héros et les mortels étaient fréquemment abordées, mettant en lumière les défis, les passions et les tragédies liés à l’amour. La Grèce antique est également l’époque des grands philosophes, et notamment de Platon, qui introduit la notion d’amour platonique : une aspiration spirituelle vers la beauté et la perfection. Cette idée d’amour transcendant les désirs physiques et conduisant à une élévation de l’âme a eu une influence durable sur la pensée occidentale.
La courtoisie au Moyen Âge
Faisons un petit bond dans le temps pour atterrir au Moyen Âge, période durant laquelle l’amour était souvent dépeint de manière idéalisée et courtoise. Les traditions littéraires de l’époque étaient influencées par les idéaux de la chevalerie, mais également par l’héritage des siècles précédents. L’amour courtois était un concept central dans la littérature médiévale, mettant l’accent sur l’amour idéalisé entre un chevalier et une dame noble. Cet amour était souvent platonique et empreint de respect et de soumission de la part du chevalier envers sa dame, incarnant les valeurs de la courtoisie et de la galanterie. Les troubadours étaient souvent les vaisseaux de ces récits. Ils ont popularisé la poésie lyrique courtoise dans le sud de la France au XIIe et XIIIe siècles. Nous retrouvons également cette notion dans la littérature arthurienne : Chrétien de Troyes présente souvent des thèmes d’amour courtois entre les chevaliers de la Table ronde et les dames de la cour. L’amour est souvent associé à des quêtes héroïques et à des épreuves morales.
En parallèle à l’amour courtois, la littérature médiévale inclut également une tradition de mystique religieuse où l’amour est exploré sous un angle spirituel. Les écrits d’Hildegarde de Bingen et Bernard de Clairvaux expriment un amour intense pour Dieu et une aspiration à l’union mystique avec le divin. Dans l’ensemble, l’amour dans la littérature médiévale était souvent représenté comme un idéal noble et raffiné, qu’il soit courtois ou mystique, reflétant les valeurs et les croyances de la société de l’époque.
La Renaissance, ère de l’hédonisme
Aux XIVe, XVe et XVIe siècles en Europe, la Renaissance marque un changement dans les idéaux médiévaux de l’amour courtois et une montée de la pensée humaniste, mettant l’accent sur la valorisation de la vie terrestre et des plaisirs sensuels. C’est l’avènement d’une littérature présentant un amour hédoniste. Les écrivains de cette époque ont souvent exploré les thèmes de la sensualité, de l’érotisme et de la jouissance des sens dans leurs œuvres, remettant en question les idéaux traditionnels du Moyen-âge.
Les sonnets de William Shakespeare, en particulier, sont souvent cités comme des exemples de l’amour hédoniste dans la littérature de la Renaissance. Shakespeare a exploré les thèmes de la passion amoureuse, du désir physique et de la sensualité dans ses œuvres, offrant une représentation complexe et réaliste de l’expérience humaine de l’amour. D’autres auteurs de la Renaissance, tels que Montaigne et Ronsard, ont également abordé les thèmes de l’amour hédoniste dans leurs écrits, offrant ainsi aux lecteurs une variété de perspectives sur l’expérience amoureuse à cette époque.
La période classique et l’amour moral
Durant la période classique, du XVIIe au début du XIXe siècle, c’est l’amour moral qui prime en littérature. Pendant cette période, l’amour était souvent présenté comme un sentiment noble et vertueux, soumis à des normes morales strictes et souvent étroitement lié à des idéaux sociaux et religieux.
Les écrivains classiques mettaient en avant l’idée que l’amour devait être bien régulé et conforme aux valeurs de la société, ce qui incluait souvent des notions de loyauté, de dévouement et de respect mutuel entre les amants. Les œuvres d’auteurs tels que Molière, Racine, Jane Austen et Alexander Pope sont des exemples de textes qui ont exploré les complexités de l’amour moral dans différentes cultures et contextes sociaux.
Les Romantiques et l’amour cathartique
À cheval sur cette même période, l’époque romantique a vu l’avènement de l’amour cathartique en littérature, de la fin du XVIIIe jusqu’au milieu du XIXe siècle. Ce concept fait référence à la capacité de l’amour à agir comme une force purificatrice ou libératrice pour les individus. Les auteurs romantiques ont exploré les profondeurs de l’âme humaine à travers les relations amoureuses, mettant en lumière les conflits intérieurs, les tourments émotionnels et les désirs passionnés de leurs personnages.
Des écrivains comme Victor Hugo, Alphonse de Lamartine ou George Sand ont tous abordé le thème de l’amour dans leurs œuvres, utilisant la poésie, le roman et le drame pour explorer les dimensions psychologiques et émotionnelles de l’expérience amoureuse. L’amour cathartique dans la littérature romantique était souvent associé à des éléments tels que la nature, le sublime et la quête de soi.
C’est au cours de ces périodes, et plus précisément à partir du XVIIIe siècle, que le mariage d’amour commence à s’imposer comme la nouvelle norme.
L’accélération des mœurs au XXe siècle
Au cours du XXe siècle, l’amour dans la littérature a été exploré à travers une grande diversité de styles, de mouvements littéraires et de cultures, reflétant les bouleversements sociaux, politiques et culturels de l’époque. Au début du XXe siècle, le modernisme littéraire a remis en question les conventions traditionnelles de la narration et de la représentation de l’amour. Des auteurs comme James Joyce avec son roman Ulysse ont exploré des aspects de l’amour et de l’intimité humaine de manière novatrice, utilisant des techniques expérimentales pour capturer les pensées et les émotions des personnages. Les écrivains existentialistes comme Albert Camus et Jean-Paul Sartre ont abordé l’amour dans un contexte d’absurdité et d’angoisse existentielle. Leurs œuvres, telles que L’Étranger et Les Chemins de la liberté, explorent souvent les relations humaines à travers le prisme de la solitude, de l’aliénation et de l’absence de sens.
La littérature du XXe siècle a également été fortement influencée par les guerres mondiales, ce qui a conduit à une exploration de l’amour au sein du conflit et du trauma. Des œuvres comme À l’ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque dépeignent les effets dévastateurs de la guerre sur les relations humaines et l’amour. Les mouvements révolutionnaires et les changements sociaux du XXe siècle ont également inspiré de nombreuses œuvres littéraires mettant en scène l’amour dans des contextes politiques et sociaux tumultueux. Des écrivains comme Gabriel García Márquez avec Cent ans de solitude ont utilisé l’amour comme un thème central pour explorer les dynamiques familiales et sociales dans des sociétés en mutation.
À la fin du XXe siècle, le postmodernisme littéraire a remis en question les notions traditionnelles de l’amour et de la réalité. Des œuvres comme Le chant d’Achille de Madeline Miller réinterprètent des histoires d’amour classiques à travers une lentille postmoderne, explorant les aspects complexes de l’identité, du genre et du désir.
La romance au XXIe siècle : réinventer l’amour ?
Le genre littéraire de la romance : clichés et évolutions
Depuis la fin du XXe siècle, la littérature sentimentale, catégorisée Romance, occupe une place de choix dans les rayonnages des librairies. Les histoires narrées mettent en avant des couples qui vont se former, éprouver des difficultés et connaître, le plus souvent, un dénouement heureux. Ce genre a tendance à mettre en avant des schémas amoureux passionnels, parfois loin des réalités de la vie quotidienne.
Le genre New Romance connaît depuis une dizaine d’années un essor croissant. Popularisé par les plateformes de publication en ligne et très plébiscité sur les réseaux sociaux, ce dernier se veut moins lisse que la littérature romantique classique et met en scène des sujets de société tels que la sexualité, les relations familiales difficiles et les problèmes de santé mentale. Anna Todd, Christina Lauren ou Colleen Hoover figurent parmi les autrices les plus prolifiques. Tout comme la catégorie Romance, le sous-genre de la New Romance est parfois critiqué pour sa mise en scène de personnages stéréotypés.
Parmi les ramages de la littérature romantique contemporaine, nous retrouvons par ailleurs la science-fiction, le paranormal et la fantasy, qui font rimer amour avec magie ou éléments futuristes, sans oublier l’intrigue et le suspense. La romance historique connaît également un bel essor depuis plusieurs années, notamment avec l’adaptation télévisée de plusieurs best-sellers tels que La chronique des Bridgerton, mais également à travers des autrices à succès comme Lisa Kleypas, Sarah MacLean ou Mary Balogh.
Attentes et réalité
Les livres peuvent influencer nos attentes en amour de diverses manières, parfois en présentant des idéaux romantiques irréalistes ou en perpétuant des stéréotypes de genre. La littérature romantique contemporaine a souvent tendance à magnifier l’amour, le présentant comme une force transcendante capable de surmonter tous les obstacles. Cette idéalisation peut conduire à des attentes irréalistes pour qui n’aurait pas suffisamment de recul.
Si certains ouvrages partagent une vision de l’amour comme étant une expérience passionnelle et éphémère, centrée uniquement sur les sentiments intenses et les moments romantiques ; d’autres font la part belle à la complexité des liens humains et des relations sentimentales. La littérature peut offrir d’intéressantes perspectives sur la passion, la douleur, la joie, la tristesse et la complexité des relations humaines. La littérature explore des thèmes universels liés à l’amour, tels que la fidélité, la trahison, le sacrifice, le désir et la recherche du bonheur. En nous exposant à ces thèmes, la littérature nous aide parfois à mieux appréhender nos relations.
La littérature exerce une influence significative sur notre vision de l’amour en nous fournissant des modèles, en explorant les émotions, en proposant une réflexion sur les relations humaines et en abordant des thèmes universels. En tant que reflet de la condition humaine, la littérature joue un rôle important dans la façon dont nous comprenons, interprétons et vivons l’amour dans nos propres vies. À nous d’en relativiser l’influence.
Sources
Livre :
L’amour-fiction, Discours amoureux et poétique du roman à l’époque moderne, Alain Vaillant, 2022
Articles :
« Ce que les romans d’amour ont à nous apprendre », Anne-Marie Shink, Cahiers d’histoire, 2020
« De Cupidon à Houellebecq, à chaque époque ses histoires d’amour », Silvan Lerch, SRF, 2019
Thèses :